Programmatrice du parcours Surf
« J’ai choppé une déferlante d’enfer ce matin, chef. » Keanu Reeves, 1991
Et non, Point Break ne sera pas projeté lors de cette programmation qui rend hommage à la star anarcho-punk-patriarco-capitaliste des pratiques ludiques de bord de mer : le surf. Keanu Reeves et le regretté Patrick Swayze ne seront pas là pour raviver notre nostalgie par leurs tirades stéréotypées sur la vague parfaite, le localisme, la liberté et l’instant présent, mais le surf a tellement inspiré le cinéma que penser cette sélection s’est muée en véritable partie de plaisir.
Nous ne pouvions commencer cette programmation autrement que par le culte des cultes, l’Eté Sans Fin, The Endless Summer, film de 1966 du réalisateur américain Bruce Brown. Culte mais controversé. Teinté de sexisme, de racisme, de colonialisme, cet objet cinématographique provoque aujourd’hui une certaine malaisance, malgré la beauté des images de vagues parfaites et vierges qui rythment ce surf-trip sixties de rêve. Culte parce qu’il a provoqué l’invasion occidentale des plages par la culture surf. Culte parce que depuis sa diffusion nous recherchons l’été sans fin en prenant en hiver des avions low cost pour aller surfer les vagues chaudes des pays qui vivent de notre tourisme. Culte parce que les femmes y sont représentées comme des objets ou des groupies. Mais grâce au combat acharné d’une dizaine de pro-surfeuses féministes et militantes, la place des femmes dans le surf a évolué et ce film est là pour nous le rappeler. Raphaël Krafft, reporter et documentariste, réalisateur de La Série Documentaire (LSD, France Culture) sur le surf (Le Surf, Une Vague Mondiale, 2021) sera présent pour débattre de ces questions houleuses tous·tes ensemble après le film.
Trois documentaires essentiels aborderont justement la pratique du surf féminin, ses combats, ses entraves, sa beauté et sa force. Direction le Maroc, avec Émergées (2021) de Charlène Dosio et Isabelle Hautefeuille, pour comprendre à quel point surfer dans ce pays est engageant et périlleux. Bouger son corps sur les vagues, mettre une combinaison, détacher ses cheveux salés ne sont hélas pas sans incidence dans ce royaume religieux dominé par les hommes. On pourrait se dire qu’en Australie, deuxième patrie du surf après la Californie, les femmes peuvent surfer les vagues qu’elles choisissent, avoir le physique qu’elles veulent, la préférence sentimentale et sexuelle qu’elles désirent. Mais non. Dans l’eau, la communauté masculine fait toujours sa loi. C’est ce que Jull Hesselberth montre avec son film au titre fort tel un slogan de manif’ Just Go Fucking Surfing ! (2019). Dans Girls Surf Jamaica (2019), Lucy Jane et Joya Berrow partent également à la rencontre d’une bande de surfeuses qui, par cette pratique, tentent de s’émanciper et de retrouver confiance en elles. Anne-Sophie Sayeux, anthropologue chercheuse spécialiste du surf, sera en notre compagnie pour échanger autour de cette sélection féministe.
Vous l’avez compris, le surf est émancipateur. Il donne confiance, il soigne, il rabiboche avec la vie. Prendre une vague, être debout sur l’eau, ressentir des sensations d’extase, de peurs, de symbiose, sont des choses rares et précieuses. Dans la bande de Gaza, territoire défoncé et empêché par la guerre constante et l’embargo, certain·es tentent d’oublier l’absence de liberté et d’ouverture de leur vie. Les protagonistes trouvent dans les vagues désordonnées de la Méditerranée un moment de répit, de grâce et de paix. Gaza Surf Club de Philip Gnadt et Mickey Yamine (2017) se regarde la bouche ouverte, bée d’admiration d’une préservation de la joie dans l’adversité la plus totale.
Le surf, aussi, produit ses icônes. Gerry Lopez en fait partie. Figure zen et énigmatique, il est celui qui a dompté avec le plus de classe l’une des vagues les plus dangereuses du monde : Pipeline, Hawaï. Gerry a raté une session de surf une seule fois dans sa vie à cause d’une mauvaise gueule de bois. L’alcool a alors disparu de sa vie, laissant place à une pratique intensive et amoureuse du yoga. The Yin and The Yang of Gerry Lopez de Stacy Peralta (2021) est un hommage au parcours surprenant de cet homme qui a révolutionné le surf en créant de nouvelles planches et en apportant une grâce et un style unique sur les vagues, mêlant aplomb et souplesse de chat. Au-delà de la grâce, la poésie sera aussi au rendez-vous avec le magnifique et quasiment muet A scene At Sea de Takeshi Kitano (1991). Le réalisateur manie ici de façon radicale son amour de l’épuration, de l’essentiel. Une parenthèse stylistique au milieu de toutes ces vagues de questions sociales et politiques liées à la pratique du surf. Enfin, avec Amour Océan (2022) Héléna Klotz nous rappelle que le surf c’est aussi l’adolescence et l’amour car il n’y a rien de plus facile que de tomber sous le charme d’une chevelure dorée de soleil et de sel en combinaison néoprène. Deuxième et dernière fiction de cette sélection, le film s’apparente à une véritable carte postale pleine de souvenirs dans les dunes.
Pour fêter la pratique du surf à l’écran, cette sélection s’accompagnera de moments forts en dehors des salles obscures. Au programme, apéro blind-test, concert des Agamemnonz (Surf-Music, Rouen) et cinéma plein-air (MIRE) le samedi soir à Bain Public ! Ainsi qu’une matinée nettoyage de plage et un dj set de clotûre au Kiosq animée par la surfeuse Dj Marvina !
Nous avons hâte de vous retrouver autour de ces rendez-vous « sportuaires ». Nous espérons qu’ils vous plairont autant que nous avons eu plaisir à les penser et les organiser, et qu’un sentiment d’été sans fin gagnera le festival le temps de cette semaine ensemble.